Alexandre Caretti, texts, infos, portfolio FR / ENG



Les règles peuvent être réinventées à tout moment : Alexandre Caretti, par Liberty Adrien, 2024.

«Les artistes qui utilisent les jeux comme moyen d'expression manipulent des éléments communs aux jeux-systèmes et styles de représentation, règles de progression, codes de conduite, contexte de réception, paradigmes de victoire et de défaite, modes d'interaction dans un jeu - car ce sont les propriétés matérielles des jeux, tout comme le marbre et le ciseau ou la plume et l'encre, qui apportent avec eux leurs propres possibilités, limitations et conventions.» —Mary Flanagan*

Une lueur vacillante émane de l’un des recoins sombres d'une construction fragile. Ses ondulations rappellent celles d'une flamme dansante, laissant présager le spectre d’un incendie domestique. Les façades de cette architecture angulaire aux allures de maison de poupée présentent une absence frappante : dépourvues de portes et de fenêtres, elles arborent un balcon solitaire, des autocollants de fruits et de légumes, et une étiquette d'expédition avec un code-barres. Le long des murs en carton serpentent des fils électriques bricolés, tandis que les volumes du toit rouge bordeaux de la bâtisse suggèrent son agencement intérieur. Un judas, discrètement positionné sur l’une des façades, offre une vue restreinte des scènes qui s’y déroulent, tout juste un halo de lumière et des ombres mouvantes. Cette œuvre énigmatique, intitulée Maison (1996-2000) (2023), est la représentation mémorielle d’Alexandre Caretti de la demeure de ses grands-parents. Seule l'esthétique précaire de cet objet sculptural s'offre à notre regard. La dramaturgie qui s'y joue est laissée à notre imagination.

Le travail de Caretti prend forme dans les interstices entre le fictif et le réel, le manifeste et le non-dit. Son corpus d'œuvres, qui s'étend sur différentes échelles, temporalités et supports, fait écho à la notion de jeu critique telle que définit l'historienne Mary Flanagan. Mêlant les esthétiques et les méthodologies du jeux à des éléments tirés de sa propre biographie, de l'iconographie domestique et des cultures populaires—de récits oraux et littéraires à des références cinématographiques et de faits divers—Caretti interroge les cadres sociaux, politiques et culturels complexes de la société contemporaine. Par des sculptures et installations évoquant des maisons de poupées et des mondes miniatures, des collages ressemblant à des scrapbook** et des films inspirés des pratiques de cosplay*** ainsi que par des projets artistiques collaboratifs qu'il initie, Caretti nous invite à une réflexion critique sur les notions de masculinités, le sentiment d'appartenance et, plus récemment, les écosystèmes de l'art****.

Accordant une attention particulière aux périodes de (trans)formation, notamment le passage de l'enfance à l'adolescence et à l'âge adulte, les œuvres de Caretti trouvent un cadre unique dans les bâtiments de l'ancienne école de la ville d’Altkirch, qui abritent aujourd'hui le CRAC Alsace. En résidence pendant plusieurs mois au centre d'art, nous nous sommes rencontrés dans l'ancienne demeure du proviseur, où il vit et travaille. L'espace feutré de la cage d'escalier menant à l'appartement, enveloppée de mystère et baigné de lumière tamisée, reflète de manière étonnante l'attrait de l’artiste pour la mise en scène et le storytelling. Sur le palier supérieur, Caretti a installé l'une de ses pièces, Bienvenue ludovic hadjeras (2023), une ampoule électrique à haute intensité placée dans l'une des appliques murales. Transformé en un espace liminal reliant le monde extérieur aux royaumes spéculatifs tissés par l’artiste, cet escalier, devenu espace d’exposition, illustre l'exploration par Caretti des relations potentielles entre l'œuvre et le spectateur. L’essence de Bienvenue ludovic hadjeras réside dans sa dimension participative : pour l’activer, il faut monter les étages et allumer la lumière.

Les frontières poreuses entre la pratique artistique et la vie quotidienne jouent un rôle crucial dans l'imaginaire de l'artiste. Ces dernières années, le travail de Caretti s’est développé au sein d’expériences collectives, reflétant un intérêt marqué pour les nuances et le potentiel des relations humaines à travers le dialogue et la collaboration. À l’invitation du 19, CRAC à Montbéliard en 2023, Caretti a convié neuf artistes à s'engager dans un processus de création, présenté dans l’exposition collective Casabella*****. Les règles d'engagement, le cadre conceptuel et l'agencement de l'exposition ont été définis en groupe, lors d'une résidence-travail-vacances passée dans une maison louée à cet effet. Certaines des pièces présentées ont été co-conçues, tandis que d'autres se complétaient subtilement, agissant comme des supports ou des liens. Au cœur de Casabella résidait la mise en valeur d'un réseau affectif, un terme récurrent dans le lexique de Caretti, soulignant l'importance égale du processus créatif et des œuvres exposées.
Les frontières poreuses entre la pratique artistique et la vie quotidienne jouent un rôle crucial dans l'imaginaire de l'artiste. Ces dernières années, le travail de Caretti s’est développé au sein d’expériences collectives, reflétant un intérêt marqué pour les nuances et le potentiel des relations humaines à travers le dialogue et la collaboration. À l’invitation du 19, CRAC à Montbéliard en 2023, Caretti a convié neuf artistes à s'engager dans un processus de création, présenté dans l’exposition collective Casabella*****. Les règles d'engagement, le cadre conceptuel et l'agencement de l'exposition ont été définis en groupe, lors d'une résidence-travail-vacances passée dans une maison louée à cet effet. Certaines des pièces présentées ont été co-conçues, tandis que d'autres se complétaient subtilement, agissant comme des supports ou des liens. Au cœur de Casabella résidait la mise en valeur d'un réseau affectif, un terme récurrent dans le lexique de Caretti, soulignant l'importance égale du processus créatif et des œuvres exposées.

En déplaçant l'acte de création dans le domaine de la pensée collective, de la négociation, du compromis et de l’échange, Caretti articule une perspective critique qui remet en question le sentiment d’isolement de l'artiste vis-à-vis de sa communauté, ainsi que les notions traditionnelles d'auteur et de génie singulier. Dans ses mondes spéculatifs peuplés de multiples personnages et ses récits où les frontières entre réalité et fiction s'estompent, les tensions entre permanence et transformation se révèlent, remettant en question l'immuabilité des formes, des êtres, des systèmes et des idées.

— Liberty Adrien, Septembre 2024.

* Mary Flanagan, Critical Play: Radical Game Design (MIT Press, 2009).
** Le scrapbooking est un loisir qui consiste à créer un album dans lequel sont rassemblés et collés divers éléments tels que des photos, des coupures de journaux, des dessins, et d'autres souvenirs ayant une valeur sentimentale ou mémorielle.
*** Le cosplay est une pratique consistant à revêtir l'apparence d'un personnage issu des mangas, de la science-fiction et des jeux vidéo. Larousse en ligne, consulté sur https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/cosplay.
**** Caretti emploie ce terme en référence au poète et artiste Franck Leibovici : « une œuvre d’art ne se réduit pas à l’artefact exposé. pour faire fonctionner l’œuvre du mieux possible, il est essentiel de prendre en compte les pratiques qu’elle implique, tant dans sa production que dans sa maintenance, les collectifs qu’elle mobilise, les règles morales ou les ascèses qu’elle met en place—bref, son "écosystème" ». Extrait de ‘Essais de bricologie. Ethnologie de l'art et du design contemporains’, 2015, consulté sur https://journals.openedition.org/tc/7582.
***** Casabella, exposition collective avec Agathe Berthou, Ondine Duché, Christiane Geoffroy, ludovic hadjeras, Vérane Kauffmann, Jules Maillot, Marie Mercklé, Floraine Sintès, et Kelly Weiss, du 26 octobre au 19 décembre 2023 au 19 CRAC, Centre régional d'art contemporain de Montbéliard.



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The rules can be reinvented at any time: Alexandre Caretti, by Liberty Adrien, 2024.

«Artists using games as a medium of expression, then, manipulate elements common to games—representation systems and styles, rules of progress, codes of conduct, context of reception, winning and losing paradigms, ways of interacting in a game—for they are the material properties of games, much like marble and chisel or pen and ink bring with them their own intended possibilities, limitations, and conventions.» —Mary Flanagan*

A flickering glow emanates from one of the dark corners of a fragile structure. Its undulations, reminiscent of a dancing flame, suggest the threat of a house fire. The facades of this angular, dollhouse-like architecture reveal a striking absence: devoid of doors and windows, they display a lone balcony, fruit and vegetable stickers, and a shipping label with a barcode. Makeshift electrical wires run along the cardboard walls, while the volumes of the building's burgundy roof hint at its interior layout. A peephole, discreetly positioned on one of the house's facades, offers a limited view of the scenes unfolding within—nothing more than a halo of light and moving shadows. This enigmatic work, entitled Maison (1996-2000) [House (1996-2000)] (2023), is a representation based on Alexandre Caretti's memory of his grandparents' home. Only the precarious aesthetic of this sculptural object is revealed to us, the dramaturgy at play is left to our imagination.

Caretti's work takes shape in the interstices between the fictional and the real, the manifest and the unspoken. His body of work, which spans multiple scales, temporalities, and media, echoes the notion of critical play as defined by historian Mary Flanagan. Blending the aesthetics and methods of games with elements drawn from his own biography, domestic iconography, and popular cultures—from oral and literary narratives to film and news references—Caretti interrogates the complex social, political, and cultural frameworks of contemporary society. Through sculptures and installations that evoke dollhouses and miniature worlds, scrapbook-like collages** and films inspired by cosplay*** practices, as well as collaborative art projects he initiates, Caretti invites us to critically reflect on notions of masculinity, belonging, and, more recently, the ecosystems of art.****

With a particular interest in periods of (trans)formation, especially the transition from childhood to adolescence and adulthood, Caretti's works find a unique setting in the buildings of the former school of Altkirch, now home to the CRAC Alsace. In residence for several months at the art center, we met in the former home of the school’s headmaster, where the artist lives and works. The hushed stairwell leading to the apartment, shrouded in mystery and bathed in dim light, strikingly echoes the artist's attraction to staging and storytelling. On the upper landing, Caretti has installed one of his works, entitled Bienvenue ludovic hadjeras [Welcome ludovic hadjeras] (2023), a high-intensity light bulb set into one of the wall sconces. Transformed into a liminal space that connects the outside world to the speculative realms woven by the artist, this stairwell-turned-exhibition space highlights Caretti's exploration of potential relationships between work and viewer. The essence of Bienvenue ludovic hadjeras lies in its participatory dimension: to activate it, visitors must climb the stairs and turn on the light.

The porous boundaries between artistic practice and everyday life play a crucial role in the artist's imagination. In recent years, Caretti’s work has developed in the context of collective experiences, reflecting a keen interest in the nuance and potential of human relationships through dialogue and collaboration. At the invitation of the 19, CRAC in Montbéliard in 2023, Caretti convened nine artists to engage in a creative process presented in the group exhibition Casabella.***** The rules of engagement, the conceptual framework and the layout of the exhibition were defined by the group during a residency-work-holiday in a rented house. Some of the works presented were co-created, while others subtly complemented each other, acting as supports or links. At the heart of =Casabella was an emphasis on an affective network, a recurring term in Caretti's lexicon that underscores the equal importance of the creative process and the artworks exhibited.

By shifting the act of creation into the realm of collective thought, negotiation, compromise, and exchange, Caretti articulates a critical perspective that challenges the artist's sense of isolation from his community, as well as traditional notions of authorship and individual genius. In Caretti’s speculative worlds of multiple characters and narratives, where the boundaries between reality and fiction are blurred, tensions between permanence and transformation come to light, challenging the immutability of forms, beings, systems, and ideas.

— Liberty Adrien, September 2024.

* Mary Flanagan, Critical Play: Radical Game Design (MIT Press, 2009).
** Scrapbooking is the hobby of creating an album in which various items such as photographs, newspaper clippings, drawings, and other mementos of sentimental or commemorative value are collected and glued together.
*** Cosplay is the practice of dressing up as a character from manga, science fiction, and video games. Larousse online, consulted at https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/cosplay.
****Caretti uses the term in reference to the poet and artist Franck Leibovici: "a work of art cannot be reduced to the artifact on display. in order for the work to function as well as possible, it is essential to take into account the practices it implies, both in its production and in its maintenance, the collectives it mobilizes, the moral rules or ascetics it establishes—in short, its 'ecosystem.'" Excerpt from “Essais de bricologie. Ethnologie de l'art et du design contemporains," 2015, available at https://journals.openedition.org/tc/7582. ***** Casabella, a collective exhibition with Agathe Berthou, Ondine Duché, Christiane Geoffroy, ludovic hadjeras, Vérane Kauffmann, Jules Maillot, Marie Mercklé, Floraine Sintès and Kelly Weiss; from October 26—December 19, 2023 at 19 CRAC, Montbéliard Regional Center for Contemporary Art.



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Less Voyage, par Émilie d'Ornano, 2024.

Depuis les vitrines de KOMMET, les spectateur·rices observent une série d’objets de la vie courante : chaises, table, lampes, cafetière, etc. Autant d’éléments référentiels qui peuvent subtilement nous projeter dans un espace de vie. Alexandre Caretti propose d’entrer dans le centre d’art comme on entrerait dans un appartement. L’entrée est marquée par un espalier qui sert de claustra, divisant la pièce en différentes zones. Ce premier sas remplit le rôle de couloir, agissant comme une transition entre l’extérieur et l’intérieur. Néanmoins, tout reste visible depuis la rue, soulignant que KOMMET demeure un espace public où l’intimité reste relative.

Alexandre Caretti explore l’espace domestique comme terrain de recherche formel. Plutôt que de viser une compréhension rationnelle, son objectif est de créer un langage artistique et sensible qui touche les visiteur·euses au-delà des limites de la logique et de la raison. Il tente de provoquer chez les spectateur·rices des micro-récits personnels en appelant des souvenirs liés à l’affect. À titre d’exemple, un simple objet comme une cafetière peut évoquer des souvenirs de moments partagés, de cafés du matin, ou encore une nostalgie pour des instants révolus. Ses œuvres suscitent des émotions et des récits personnels chez celleux qui les contemplent.

Cette volonté d’interactions confère aux œuvres d’Alexandre Caretti une forme d’agentivité, c’est-à-dire la capacité d’exercer un effet sur les publics. Cette approche se distingue nettement de la traditionnelle sacralité associée à l’art, où les œuvres sont souvent perçues comme des entités autoritaires et inaccessibles. Son intérêt ne se limite pas à la relation entre la figure de l’artiste et le·la spectateur·rice. Il explore également toutes les interactions affectives qu’il tisse avec ses propres œuvres, les autres artistes et l’environnement architectural dans lequel il expose. Son travail dévoile une fascination pour les réseaux affectifs dans leur globalité, offrant ainsi une expérience artistique multidimensionnelle et poétique.

Less Voyage offre une expérience de visite qui rompt avec la contemplation passive généralement associée à certaines expositions. L’artiste propose une nouvelle perspective sur notre quotidien en créant un répertoire de formes et de gestes qui transcende les explications narratives traditionnelles. Ses interventions se distinguent par leur subtilité, frôlant parfois l’imperceptibilité. Cette approche incite les publics à scruter et à réévaluer le statut des objets qui se présentent à leur vue, tout en explorant les résonances émotionnelles et esthétiques qui émergent de cette cohabitation entre œuvre d’art et objet du quotidien.

— Émilie d’Ornano, septembre 2023.



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Skulpturen für Bankhallen, by Lukas Picard, 2025.

In his exhibition Skulpturen für Bankhallen, Alexandre Caretti invites us to take a playful and revealing look at the imaginaries that tower up around the world of finance.

The model of one of the eponymous banking halls glows in the dimmed light. Here, the artist has created a miniature of a lobby of the kind that appears again and again in the financial architecture of the euro-city of Frankfurt. The light inside the model leads the eye to the large opening at the front and from there directs to a mechanised sculpture, a tower made of cent coins, which rhythmically rises and sinks through an opening in the floor of the banking hall.

In combination with the lighting, the humming of the rotating motor and its movement, the model creates a cinematic impression. It is reminiscent of miniatures in which scenes and special effects for films are shot in studios. While these film models are only intended to provide a single view from which the Illusion of what is depicted is maintained, Alexandre Caretti immediately reveals the construction of his scenery. His Bankhalle is skilfully cobbled together from a windscreen wiper motor, a spoon, cardboard boxes, table lamps, old LED strips, two table legs and some paint. In this way, the sculpture makes the mechanisms of its own theatricality tangible. Visitors not only look into the large, imposing opening of the banking hall, but can also open up their very own perspectives through joints, gaps, holes and cracks. While the integration of images into a linear, filmic narrative often leads to an unambiguity that centres the viewer on a certain viewing position, the arrangement of objects in Skulpturen für Bankhallen" produces a continuous surplus of meanings. Here, no finished images are moved through the projector, but the fragments of possible filmic narratives are presented to the visitors for rearrangement. The pumping pile of cent coins that continuously penetrates the banking hall model comments on the idea of mostly male, optimised bodies that have adapted to the mechanics of high-speed capitalism. However, he also sets a trap for these capitalist bodies when they plunge through the floor of the banking hall in pursuit of money. The material used, cent coins, is deliberately chosen. Each of us deals with them every day, they do not stand for great wealth, but for the smallest possible form of capitalism, for simpler, perhaps more personal dreams, when we carry them around with us as lucky cents or throw them into the Trevi Fountain, making a wish. In this way Caretti's installation brings the grand architectures and the powerful habitus of the bankers back down to an understan dable and workable level. In the exhibition, countless other objects and characters can be discovered, and a whole menagerie of iconic animals appears with which finance bro's" explain the world to themselves, from sharks" and eagles" to turkeys". They all become part of the associative play of Skulpturen für Bankhallen, an installation that invites the narration and re­narration of the stories and images with which high finance is represented and represents itself. Lukas Picard, exhibition text



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Casabella, par Ondine Duché, 2023.

À l’origine de Casabella, il y a la volonté d’Alexandre Caretti de réunir dans une exposition collective des personnalités qui lui sont chères et qui ont marqué, d’une façon ou d’une autre, son parcours artistique. Cette envie s’inscrit au cœur de sa démarche actuelle de travailler à partir de réseaux affectifs qui se déploient tout à la fois entre des personnes, des objets, mais aussi des lieux.

Explorer, exposer, des réseaux affectifs donc, entre nous et entre nos œuvres, pour faire une exposition. Il y a l’hétérogénéité des liens qui nous rapprochent et nous façonnent au sein d’un groupe, qui se retrouve dans la diversité des œuvres exposées qui parfois s’accrochent, s’appellent ou s’ignorent. Et puis il y a des pièces qui font des liens, qui tiennent une dynamique globale, tout en créant des nœuds de réseaux. Certaines pièces fonctionnent à plusieurs, elles se soutiennent et rejettent leur autonomie pour former des constellations. Celles qui oscillent à la frontière entre objets utilitaires, banals et œuvres d’art sont douées à ce jeu. Parfois pièces de mobilier à peine transformées par des gestes poétiques ténus, elles appellent à être utilisées par d’autres œuvres, mais aussi par les visiteur·euses de l’exposition.

Ce sont aussi ces zones de flou, d’ambiguïté, parfois d’inconfort, qu’Alexandre Caretti nous a invité à sillonner avec lui. C’est ainsi que la thématique de la maison, de la domesticité, tient une place de premier plan dans les œuvres présentées. En effet, convoquer l’espace privé, l’intime dans le lieu partagé du musée peut bouleverser l’expérience attendue de l’exposition, comme elle peut enrichir le rapport à l’œuvre et troubler le statut de l’auteur·e.

L’appel de pièces exposées à porter notre attention sur l’espace environnant, des objets qui l’habitent aux surfaces même qui le composent, conjure une certaine neutralité présumée de l’espace du musée ou du centre d’art.

Explorer les liens affectifs que l’on entretient avec les objets, les espaces et les personnes est également une manière de replacer l’artiste au cœur de son environnement. Ce parti pris met à mal plusieurs facettes du mythe de l’artiste comme esprit créateur original et singulier. La dimension collective de certaines pièces, dans leurs réalisations, mises en espace ou modes d’existences, altère le statut autonome des œuvres, mais aussi celui de l’auteur·e. Au-delà des enjeux de co-création, plusieurs des travaux montrés tentent de rendre tangible la dimension poreuse de la créativité, qui dans cette perspective ne dépend plus individuellement de l’artiste, mais se cristallise à l’intersection des dynamiques (temporelles, affectives, matérielles, économiques, etc.) dans lesquelles l’artiste est pris·e. La manière dont l’exposition est articulée se veut une manière d’explorer cette perméabilité entre les identités artistiques.

Les différentes postures artistiques présentées dans l’exposition tiennent parfois à peu, ne sont pas toujours démonstratives, mais elles soutiennent que les gestes artistiques n’ont pas nécessairement besoin d’être grandiloquents pour ouvrir de vastes horizons de réflexions.

— Ondine Duché, octobre 2023.



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